30 avr. 2013

Narguilés, chichas et autres hookas


         La pipe à eau utilisée dans une grande partie du monde oriental prend des noms qui rappellent son origine géographique. En France c’est surtout sous l’appellation narghilé qu’on le connait.

      
   Le mot narguilé nous est parvenu à travers le turc nargile qui le tenait lui-même du persan نارگيله /nārgileh/, un mot dérivé de  نارگیل /nārgil/ «  noix de coco » parce que c’est dans cette coque que l’eau est ou était placée. C’est à cette source persane que l’arabe empruntera le mot نارجيلة /nārjīlat/ qui signifie aussi bien « narguilé » que « noix de coco » (qu’on appelle aussi  جوْز الهند /jawz al-hind/ « noix d’Inde »). Cependant, le mot persan trouve son origine dans le sanskrit नारिकेल /nārikela/ « noix de coco » (hindi नारियल /nāriyala/) qui semble lui-même emprunté à une langue dravidienne.

         Dans les pays arabophones on utilise plutôt le mot chicha qui n’est pas un mot arabe mais encore persan, شیشه /šīšeh/ signifiant « verre », désignant de nouveau le contenant du liquide.

       
  Dans la région indo-pakistanaise (et du coup en anglais) c'est sous le nom hookah que le narguilé est connu. Le mot hindi/ourdou हुक़्क़ा / حقّہ /huqqāh/ est emprunté à l’arabe هقّة /huqqat/ qui semble lui-même le tenir d’une autre source, peut-être le persan. 

         En Iran, c’est le mot قلیان /qaliān/ qui est utilisé. Ici aussi il désigne le contenant du liquide et le est emprunté à l’arabe غلى /ġlā/ « bouillir » qui a aussi donné le mot غلْيون /ġlyūn/ « pipe ».

Afghanistan - Photo Ludo Kuipers



Sarrazins et Chouraqui de Castelsarrasin


Alors que le mot arabe المغرب Maghreb indique le coucher du soleil, le mot مشرق /mašriq/ écouter ou Mashreq indique son lever et désigne l’Orient et plus particulièrement le Moyen-Orient. Il est – comme le mot شرق /šarq/ « Est » – dérivé de la racine arabe شرق /šaraqa/ qui signifie « se lever (pour le soleil) ». C’est aussi de là que provient le mot شرقية /šarqiyat/ écouter ou chergui par lequel est nommé un vent marocain et c’est certainement de l’altération de ce mot que le nom du sirocco a été formé, suivant en cela le cheminement du mot sarrazin.

         Par le mot Σαρακηνοί Sarakenoi, ce sont en fait les Grecs qui étendirent à tous les Arabes le nom que les Romains utilisaient déjà pour désigner une tribu arabe du Sinaï. Le latin sarracenus (comme l’anglais saracen) était une translittération de l’arabe شرقيين
/šarqiyyin/ qui signifie « orientaux ». Certains auteurs chrétiens essayèrent un temps de faire dire au mot « qui n’est pas de Sarah », faisant référence en cela à l’origine biblique et coranique des Arabes qui descendraient d’Agar, la servante égyptienne d’Abraham et non de Sarah son épouse légitime. Toujours est-il que ce mot Sarrazin a servi à désigner non seulement les Arabes puis les musulmans mais aussi tout ce qui était païen. Ainsi, selon l’Italien Joseph Henriet, ont été appelés Sarrasins de nombreux autochtones Alpins pré-indoeuropéens réticents pendant des siècles à la christianisation de l’Europe.

A ces différents mots on peut rattacher les patronymes juifs ou musulmans suivants : Chouraqui, Cherki ou Cherkaoui. On trouve aussi en France le nom de famille Sarrazin ou Sarrasin. Un médecin français installé au Canada avait envoyé une plante inconnue à un botaniste qui nomma la famille de cette plante sarracénie en son honneur.

Ce mot a aussi conduit à la formation de toponymes comme c'est le cas du nom du village de Castelsarrasin qui se trouve dans le Tarn-et-Garonne ou même du nom du club de rugby anglais Saracens F.C.
                    



29 avr. 2013

Fellag le fellaga et Bouteflika le fellah


On  trouve en arabe deux racines pour traduire le verbe « fendre ».

La première فلح /falaḥa/ se rapporte plus spécifiquement à l’agriculture, à l’action de fendre la terre. C’est de là que provient l’arabe فلّاح /fallāḥ/ emprunté par le français fellah pour désigner un paysan d’Égypte ou d’Afrique du Nord. On en retrouve la trace dans la topomynmie (Fallahabad en Iran, Khirbet Abu Fallah en Palestine) ou dans l'onomastique (l'activiste social iranien Hossein Falah Noshirvani). Dans un sens second, ce même mot mais sans le redoublement du /l/ فلاح /falāḥ/ écouter signifie « bonheur, salut, succès » sans qu’on sache si cette félicité est liée à l’état de paysan ou une image de la bouche qui sourit (qui est fendue, comme en français "on se fend la poire")… Toujours est-il que c’est ce mot que l’on retrouve dans l’appel à la prière du muezzin :


   حي على الفلاح/ḥayyā ‘alā-l-falāḥ/ « venez au salut (félicité) »

        La racine arabe فلح /falaḥa/ provient elle-même du radical proto-sémitique  /*plaḥ/  « cultiver  » qui a aussi donné l'hébreu פּלח /falaḥa/ « couper (en tranches)  » origine du nom biblique Pilcha.

     
Lazhar Chraïti
    La deuxième فلق /falaqa/ « fendre en deux »  peut elle aussi se rapporter à la lèvre (فلّق /fallaqa/ « gercer ») et dans un sens imagé au bandit, au coupeur de route, le فلّاق /fallaq/ فلّاقة /fallaqat/, le fellaga ou fellagha. C’est ce terme qui sera employé par l’armée coloniale pour désigner les combattants indépendantistes du Maghreb. C’est aussi à cette racine que se rattache le nom de l’humoriste algérien فلاڤ Mohammed Fellag ou du président algérien بوتفليقة Abdelaziz Bouteflika mais le sens de leur nom n'est pas clair.