29 sept. 2011

Le tank est une citerne


Le mot tank est emprunté à l’anglais, langue dans laquelle il désigne initialement une citerne. Ce sens perdure en français dans le langage marin ou militaire (tanker, supertanker…). Antérieurement, l’anglais l’avait emprunté à une langue de l’Inde du nord, le gujarati dans laquelle le mot ટાંકી /ṭāṅkī/ désigne une « citerne » ou un « bassin d’irrigation ». Le mot a voyagé et on le retrouve par exemple dans le swahili tangi « bassin, réservoir » (shimaoré tangé) qui marche en doublon avec le mot tanaki plus tard emprunté à l’anglais tank.

C’est pendant la Première Guerre Mondiale que le français a emprunté le mot tank. Les Anglais avaient développé un programme de construction de chars d’assaut en laissant l’ennemi croire à la fabrication de citernes. Ceci, appuyé par le fait que les tanks ressemblaient à des bidons a permis au mot de perdurer dans ce sens après la fin de la guerre.

On suppose le sanskrit /tadāga/ « étang, mare » être l’étymon du gujarati ટાંકી /ṭāṅkī/ mais il pourrait lui-même provenir d’un mot dravidien de la même origine que le tamoul தடாதம் /taṭākam/ « bassin, citerne ». En hindi moderne on trouve le mot टैंक /ṭāṅk/ pour « char d’assaut » directement emprunté à l’anglais.


28 sept. 2011

Sirop, sorbet et moucharabieh


Du radical sémitique /*šrb-/ « boire » provient la racine arabe شرب /šariba/ qui possède le même sens. De là de nombreux dérivés qui désignent différents breuvages ont été empruntés par le français et parmi lesquels le mot شراب /šarāb/ « boisson » duquel est issu le mot francisé sirop. En arabe comme en français ce mot en est venu à signifier aussi bien boisson que vin et par métaphore on utilise le verbe « siroter » pour « boire de l’alcool ».

De la même racine dérive l’arabe dialectal شربة /šurbat/ ou chorba qui désigne une soupe maghrébine algérienne servie notamment pendant le mois de ramadan et dont le nom a servit de support à l’organisation humanitaire « Une Chorba pour Tous ». La langue turque s’est emparé du mot sous la forme çorba /čorba/ « soupe » et l’a transmis à certaines langues des pays administrés par l’Empire ottoman. A partir de ce mot ceux-ci ont créé un grade chez les janissaires nommé çorbacı /čorbaje/ qui pourrait se traduire par « serveur de soupe » ou mieux « celui qui nourrit avec de la soupe ».

Aujourd’hui encore, en turc de tous les jours ce terme signifie « patron » et on le rencontre comme patronyme (Chorbadzhi) dans la région. C’est encore de l’arabe شربة /šurbat/ mais à travers sa prononciation turque şerbet /šerbet/ que nous avons créé le mot sorbet pour initialement désigner une boisson fraîche ou glacée.
Plus étrangement, le moucharabieh مشربية /mušarabīat/ possède lui aussi un nom provenant de cette racine arabe. Il semble qu’initialement le nom de ce panneau de bois ajouré permettant de voir sans être vu désignait plutôt le lieu où on stockait ou buvait de l’eau fraîche.


27 sept. 2011

Khamsin à Souk el-Khemis




On trouve la trace du protosémitique /*ẖmš/ « cinq » dans l’hébreu חמסה /ẖamsah/, le maltais hamsa ou l’arabe خمسة /ẖamsat/ et son dérivé خمسين /ẖamsīn/ « cinquante ». C’est de ce dernier que provient le mot khamsin, du nom d’un vent chaud d’Égypte qui est sensé souffler pendant cinquante jours même si c’est rarement le cas. Du

mot arabe خمسة /ẖamsat/ « cinq » et de son équivalent hébreu חמסה /ẖamsah/ provient le nom de la khamsa, un talisman judéo musulman aussi appelé main de Fatma ou main de Fatima par les musulmans et main de Maryam par les juifs. On trouve par ailleurs dans le Maghreb des villages nommés Souq al-Khamis « souk du jeudi (5ème jour de la semaine) ».

Punch du Pendjab


Le radical proto indoeuropéen /*penkwe/ qui signifie « cinq » a donné aussi bien le grec πεντε pente que le latin /quīnque/ (V), le persan پنچ /pañč/ (٥) ou le sanskrit /pañča/ (). De ce dernier provient le hindi पांच /pañč/ qui est l’étymon du mot punch. Le nom de cette boisson fait référence au nombre d’ingrédients qui la composerait même si certains veulent voir dans l’anglais puncheon une origine plus européenne. Le puncheon est une ancienne unité de mesure du vin de 318 litres et le français a utilisé au XIXème siècle le mot ponchon pour désigner un gros tonneau. Néanmoins on retrouve le mot hindi पांच /pañč/ « cinq » dans plusieurs autres mots parmi lesquels :

le panchâyat पंचायत /pañčāyat/ « cinq assemblées », une organisation locale d’élus indiens qui compose la plus petite formation gouvernementale de l’Inde dont le sarpanch est le représentant,
le panchatantra पंचतंत्र /pañčatantra/ « cinq livres (traités) », un recueil de fables et de contes indiens du 5ème siècle dont Jean de La Fontaine reconnaîtra s’être largement inspiré,

le pachisi पच्चीस /paččīs/ « vingt-cinq » nom d’un jeu indien, origine possible de notre jeu de « petits chevaux ». Le mot vingt-cinq fait référence au score maximum lors du jet de cauris faisant office de dés,
le Pendjab ਪੰਜਾਬ /pandjāb/ du persan پنچاب « cinq rivières », région du Pakistan et de l’Inde,

le Pandjchir پنجشیر /panjšīr/ « cinq lions » du persan پنچ /panč/ et شير /šīr/ « lion », région de l’Afghanistan, anciennement défendue par Ahmed Shah Massoud.


25 sept. 2011

Agrumes

On sait aujourd’hui que le citronnier provient d’Asie et on suppose que le nom de son fruit est issu d’une langue de cette région sans pour autant savoir laquelle. En revanche on connaît l’origine indienne des mots lime et limon. Le nom de ces petits citrons ronds et jaune vert au goût acidulé provient du sanskrit /nimbū/ « citron ». Ce mot que l’on retrouve dans le hindi नींबू /nimbū/ a été altéré par le persan ليمون /līmūn/ repris plus tard par l’arabe sous la forme ليمون /laymūn/ « citron ». C’est d’une extension du mot limon que l’on a tiré le nom de la limonade qui était à l’origine – comme l’est toujours le नींबू पानी /nimbū pāni/ indien - une simple citronnade, un jus de citron sucré. Aujourd’hui, l’acide citrique a remplacé le citron dans la limonade et son étymologie est souvent ignorée.


L’arabe possédait le mot /limah/, un nom collectif pour les citrons duquel on a fait lime puis limette. Plus tard, le mot limon a été emprunté par l’anglais sous la forme lemon mais aussi par le néerlandais limoes. Les Hollandais qui voyageaient beaucoup nous ont ramené un gros fruit qu’ils appelaient pompelimoes (pompel « gros » limoes « citron ») que l’on a francisé en pamplemousse.

Le mot orange provient lui aussi de la langue sanscrite, du mot /nāranga/ (hindi नारंगी /nārangi/ qui a transité par le persan نارنگ /nārang/ (نارنج /nārandj/ en persan moderne) avant de passer à l’arabe نارنج /nāranj/. Le français à son tour emprunte le mot et le fait précéder de l’article féminin « une ». Comme il était peu commode de dire « une narange », la dissimilation de la consonne /n/ a conduit à la formation du mot orange. La plupart des langues utilisent le mot aussi bien pour nommer le fruit que sa couleur.


Les Arabes avaient importé la variété amère de l’orange et ce sont les Portugais qui ont ramené en Europe la variété sucrée que les Arabes ont appeléeبرتقال /burtuqāl/ « Portugal ». Cette racine a eu du succès et se retrouve dans de nombreuses langues comme le persan پرتقال /portoqāl/, le turc portakal /portakal/ ou le grec πορτοκαλ portokal (νεράντζι nerantzi pour la variété amère). Le français a connu un moment le mot « pomme du Portugal. »


Ce sont les Espagnols qui donnèrent son nom à la mandarine. Le mot naranja mandarina « orange mandarine » faisait référence à la couleur des vêtements des mandarins chinois.

Mais le mot mandarin lui-même na rien de chinois puisquil provient du sanskrit /mantrin/ qui signifie « ministre » (hindi मंत्री /mantri/), un terme que les Occidentaux avaient abusivement appliqué aux dignitaires chinois. En anglais, la mandarine se traduit par tangerine et l’hybride résultant de son croisement avec le pomelo se nomme tangelo. Ces deux mots proviennent de la ville marocaine de Tanger dont le nom est d’origine berbère.

Emile Chabrand en mandarin, Chine. Voyage autour du monde, 1883.
© Photographie signée Maya y Sciandra, Mexico, Mexique. Collection musée de la Vallée à Barcelonnette.

Musée de Barcelonnette

Le kumquat est un petit agrume dont le nom provient du chinois de Guangdong dans lequel gāmgwāt signifie « citron doré». On retrouve la première syllabe du mot dans le mandarin gān « orange » alors que dans cette langue, le mot kumquat est rendu par les caractères 金橘 jīnjú « or mandarine (mandarine dorée) ».

24 sept. 2011

Svastika ou croix gammée


Depuis des millénaires, le symbole graphique que l’on appelle la croix gammée est utilisé sur tous les continents. Là où certains n’y voyaient qu’un élément décoratif, d’autres y donnaient du sens, c’est certainement le cas de l’hindouisme dans lequel il a été et est toujours très utilisé. Dans cette religion, il est connu sous le nom de स्वस्तिक /svastika/ un mot sanskrit qui signifie « de bon augure ». La première partie du mot provient du sanskrit सु /su/ « bon », lui-même issu de l’indo-européen /(e)su/ « bon » qui a aussi donné le grec eu- que l’on retrouve dans le français évangile « bonne nouvelle », eucharistie « action de grâce » ou Euphrate. La deuxième partie, /esti/ « être » est de la même origine que l’espagnol esta ou le français est, suffixée du diminutif /ka/.

Ce symbole de bonheur et de chance a été détourné de son sens par les idéologues du parti Nazi allemand en référence à la pseudo origine aryenne des peuples germaniques. Ce svastika dont les branches tournent vers la droite a pris le nom de croix gammée, croix composée de la lettre grecque Γ gamma. Bien avant les Nazis, le svastika a été emprunté par les Jaïns et les Bouddhistes par lesquels il a essaimé dans différents pays d’Asie. On le retrouve aussi bien au Japon qu’en Corée ou en Chine. Ici comme en Inde, il peut avoir les branches tournées vers la droite ou vers la gauche. Dans ce cas il porte le nom de sauvastika. Suivant les pays et les époques, il a pris différentes significations plus ou moins heureuses et le sauvastika est devenu synonyme en chinois de « dizaine de milliers, millions ». Il est à ce titre l’équivalent du sinogramme () wàn que l’on retrouve dans le mot japonais banzaï. Etant donné la popularité de ces deux signes dans toute l’Asie, il y fort à parier que leur retour en Occident finira par se débarrasser de l’image par trop négative que la Deuxième Guerre mondiale leur a laissée.

Mohair et angora

La racine arabe خيْر /ẖayr/ « bon, bien » a donné le prénom féminin خيْرة /ẖayrat/ Kheira « bonne » mais aussi des dérivés tels que مختار /muẖtār/ Mokhtar, Moktar « choisi, maire (élu) » ou مخير /muayyar/ « meilleur(e) ». C’est de ce dernier, après avoir transité par l'anglais que provient le mot mohair. Il a du subir l’influence du mot hair « poil » et a orienté la phonétique du mot. En français on connait les deux dérivés du mot mohair que sont les mots moire et son adjectif moiré(e).

Pub Mohair

Le mohair est produit par une chèvre appelée angora. Ce mot provient de l’ancienne ville grecque Αγκυρα ankyra dont le nom signifie « ancre » et qui est aujourd’hui Ankara ou Engürü, la capitale de la Turquie. Le mot grec provient d’une racine indo-européenne *ang- qui signifie « coin » qui a aussi donné le français angle. C’est peut-être aussi cette racine qui a donné son nom à la tribu germanique des Angles qui ont peuplé l’Angleterre, la « terre des Angles ». L’adjectif angora n’est pas appliqué aux seules chèvres, mais aussi à d’autres mammifères tels que les lapins ou les chats.

Kippa, Gabon et alcôves

Du radical afro-asiatique /*qub/ qui signifie « maison, toit » est issue la racine sémitique /*qubb/ « coupole » de laquelle provient l’arabe القبة /al-qubbat/ « dôme, chambre voûtée ». Ayant d’abord transité par l’espagnol alcoba qui signifie « chambre à coucher », ce mot est parvenu en français sous la forme alcôve qui ne désigne plus qu’une cavité voûtée percée dans un mur. Dans la toponymie on le reconnaît encore dans le nom de la ville espagnole Alcove.

De la même racine sémitique provient le mot hébreu קבה /kubah/ qui désigne une tente cintrée et ce n’est que très récemment qu’on a attesté une origine commune avec le mot כפה /kippah/ « kippa », cette petite calotte dont les juifs pratiquants se recouvrent le haut du crane.

D’autres reconnaissent dans ce mot la racine hébraïque כף /kaf/ qui signifie « paume de la main » et possède encore une analogie de forme courbe. Ce mot hébreu est à mettre en relation avec le mot phénicien /kaf/ « main » qui était aussi le nom de la lettre ensuite empruntée par les Grecs qui en ont fait la lettre Κ,κ kappa. Cette lettre en proto-sinaïtique représentait clairement une main dont la graphie a pivoté pour donner notre K actuel

Proto-sinaïtique "main" Phoénicien K Κ Grec K

Tiré de la même origine sémitique que le mot kippa, le mot arabe قباء /qabāc/ qui signifie « capote » est entré en sicilien sous la forme cabbanu. Plus tard il a été emprunté par le français caban pour désigner un pardessus de marine avec ou sans capuche.

Corto Maltese en caban

Emprunté à la même source arabe, les Portugais ont formé le mot gabaõ tout en lui limitant le sens de « capuche ». C’est parce qu’ils y ont vu une forme similaire que les navigateurs lusophones ont donné à la baie africaine dans laquelle ils venaient de débarquer le nom de Gabon, adaptation française du mot gabaõ. C’est certainement aussi en raison de sa forme qu’un quartier d’Alger a été nommé Kouba.


23 sept. 2011

Kalachnikov en calèche, Almodovar au Darfour




Il existe dans la tradition slave un pain rond qui est consommé lors d’occasions particulières. Ainsi le колач /kolač/ ukrainien du réveillon de Noël ou le кулич /kulitč/ de la Pâque russe. Comme le tchèque kolacky et le croate kolač « gâteau » ces mots ont en commun l’idée de rondeur. Ils proviennent tous du mot proto-slave /*kolo/ « roue » qui a entre autre donné le tchèque kolo « rond » duquel provient le terme kolesa « charrette » qui a donné le français calèche et l’anglais calash« calèche ». En russe, celui qui fabrique le кала́ч /kalač/ se nomme le калашник /kalašnik/ « boulanger ». C’est de ce mot qu’est issu le patronyme Калашников Kalachnikov et c’est en l’honneur de l’ingénieur soviétique Mikhaïl Kalachnikov qu’à été nommé l’arme du même nom Avtomat Kalachnikova crée en 1947 (AK-47). Arme des mouvements révolutionnaires, on la retrouve aussi bien sur le drapeau du Hezbollah que sur celui du Mozambique.



Les juifs ashkénazes de langue yiddish nomment kugel un gâteau rond qui tient son nom de l’allemand Kugel « sphère », et qui est une variété de la pâtisserie allemande gugelhupf de laquelle le kouglof alsacien tient son nom. Ces mots slaves et allemands proviennent du radical indo-européen /*kwel/ « tourner en rond » par lequel le latin circus a donné le français cercle. C’est aussi ce radical qui a donné le sanskrit चक्र /šakra/ qui signifie « roue, cercle ». Le chakra est un symbole bouddhiste et hindou qui se retrouve aussi bien sur le drapeau indien de l’Inde que celui du peuple Rrom.






En sanskrit, l’idée de cercle peut-être aussi rendue par le mot मण्डल /maṇḍala/, le mandala qui est un autre symbole important de ces deux religions dans laquelle il prend la forme d’un diagramme rituel. L’hindi moderne utilise toujours le mot मण्डल /maṇḍala/ « disque » et c’est ce nom que porte la ville birmane de Mandalay.


Du radical sémitique /*dwr/ « tourner » provient la racine arabe دار /dāra/ de même sens. C’est parce que les tentes des Bédouins étaient placées en rond que le mot دار /dār/ a fini par signifier « habitation, maison » et c’est lui que l’on retrouve dans le nom de la ville tanzanienne دار السلام Dār as-Salām « la maison de la paix, le paradis » ou dans le nom arabe de l’entité villageoise, le douar دوار /dūwār/. Le mot arabe دار الصناعة /dār aṣ-ṣanācat/ « maison de fabrication » a d’abord donné l’italien génois darsena avant de passer au français darse. C’est le même mot et son évolution de « lieu d’entrepôt » à « dépôt d’armes » qui a donné le français arsenal. Le mot الصناعة /aṣ-ṣanācat/ « fabrication » qui compose la deuxième partie de l’étymon est de la même racine que le nom de la ville yéménite Sanaa. L’arabe est une des langues du Soudan et le Darfour en est une région. Son nom arabe دار فور /dār fūr/ signifie « la maison des Four (fòòr) », une ethnie de langue nilo-sahrienne qui occupe tout l’ouest de ce pays. L’espagnol a emprunté le mot arabe دار /dār/ sous la forme aduar qui est encore appliqué aux camps de Gitans nomades. Une extension du mot /dār/ se retrouve dans la toponymie espagnole, par exemple dans le nom de la petite ville Almodóvar del Campo dans laquelle se trouve une forteresse maure. Ce mot almodóvar provient donc de l'arabe المدور /al-mudūwar/ « la ronde » d’où est issu le patronyme correspondant porté par le réalisateur de cinéma Pedro Almodovar.


21 sept. 2011

La bible à Gibraltar

De la racine sémitique /*gbl/ qui signifiait « frontière » ou « montagne » sont issus aussi bien l’hébreu גבל /gabal/ « montagne » que l’arabe جبل /jabal/ de même sens. C’est sous la prononciation algérienne de ce dernier que les soldats français d’Algérie avaient emprunté le mot djebel pour désigner les hauteurs dans lesquelles les résistants algériens avaient pris l’habitude de se réfugier. On disait alors « les fellaghas sont dans le djebel ». L’adjectif dérivé جبلي /jably/ « montagnard » a donné les patronymes algériens Djeblaoui ou Djebli mais a aussi été emprunté par l’espagnol, déformé par sa phonétique sous la forme jabali /ẖabali/ pour désigner le « sanglier » (le [cochon] montagnard). Ce terme espagnol a voyagé jusqu’aux Etats Unis où l’anglais javelina désigne le pécari, un lointain cousin de nos cochons sauvages.

Souvent employé en toponymie l’arabe جبل /jabal/ se retrouve jusque dans le nom de la ville indienne de Jabalpur « la ville de la montagne », capitale de la secte des Etrangleurs, les Thugs (de l’hindi Qg /ṭhaga/ « charlatan », « tricheur » emprunté par l’anglais thug « brute sanguinaire »). Plus proche de nous c’est par une altération phonétique que le nom de la montagne طرق جبل /jabal ṭariq/ « montagne de Tariq» est devenue Gibraltar. Ce Tariq de son nom complet Tariq ibn Ziyad était un conquérant berbère omeyade qui fut à l’origine de la domination maghrébine de l’Espagne. Avant lui cette montagne était appelée par les Grecs Herculis Columnae « colonnes d’Hercule » et ce sont elles qui figurent sur le dollar espagnol avec en superposition une banderole qui forme un S, l’origine de la graphie ancienne du dollar $.

Détail des Colonnes d'Hercule sur le drapeau espagnol

C’est aussi sous la forme actuelle de جبيل /jubayl/ que la langue arabe désigne l’antique ville phénicienne de Gebal ou Gubla que les Grecs allaient plus tard appeler βύβλος Byblos. L’origine du nom de cette ville libanaise proche de Beyrouth pourrait comme elle porter la trace du mot « puits » mais le mot « montagne » parait une étymologie plus plausible. Toujours est-il que notre mot bible provient du nom de la Byblos gréco-libanaise.

Quoi qu’il en soit, la ville de Byblos était un port commercial de première importance durant l’antiquité et c’est notamment par là que transitait le papyrus égyptien, le papier de l’époque que les Grecs nomment βύϐλος býblos en référence au nom de cette ville. Très vite le mot a évolué vers la forme βιβλίον biblion pour désigner les livres et notamment le livre de référence de l’époque : la bible. En grec moderne le mot livre est toujours rendu par βιβλίο biblio et en français on en connaît de nombreux dérivés tels que bibliothèque, bibliographie ou bibliophile.

19 sept. 2011

Habillés à la turque

Les Kazakhs (Қазақ /qazaq/) forment un peuple de langue turque d’Asie centrale et ils constituent la majorité ethnique du Kazakhstan Қазақстан /qazaqstan/. C’est un ancien peuple nomade et ils partagent avec les jockeys non seulement une passion pour les chevaux mais aussi la casaque, mot directement tiré de leur nom. Le mot a aussi été emprunté par le turque de Turquie, langue dans laquelle kazak signifie « pull-over ». Le nom des Kazakhs n’est pas clair, une des pistes propose un mot qui signifie « homme libre » et c’est ce même mot qui peut être l’origine de celui des Cosaques. Ces mercenaires sont issus de groupes ethniques différents n’ayant rien à voir avec les Kazakhs eux-mêmes.

L’arabe maghrébin traduit le mot casaque par le mot /jalīka/ lui-même emprunté au turc yelek « gilet, jelick » que l’espagnol a transformé en jileco (aujourd’hui chaleco « veste »), avant de le transmettre au français gilet.

L’argot falzar provient lui aussi du turc, du mot şalvar /šalvar/ « pantalon bouffant », précédemment emprunté au persan شلوار /šalvār/.

Ce mot a été emprunté par de nombreuses langues orientales et on le retrouve jusque dans le hindi शलवार /śalvār/ ou l’arabe سروال /sirwāl/ le sarouel ou saroual des chibanis, les vieux Maghrébins. Le mot arabe témoigne dans sa phonétique l’origine pahlavi du mot (/śarvār/) certainement issu d’un mot sanskrit. Les musulmans comme les musulmanes de différentes parties d'Asie (notamment du Pakistan et de l'Inde) portent un habit nommé شلوار قمیض /šalvār kamīz/ shalvar kamiz, littéralement "pantalon et chemise".

http://www.soniya.fr/85-salwar-kameez