30 avr. 2012

La jungle est un désert, le Sahara aussi


 Le mot jungle provient d’un mot indien, du hindi ou du marathi जंगल /jangal/ « forêt ». Ces deux mots proviennent de l’adjectif sanskrit जङ्गल /jangala/ qui contre toute attente signifie « aride, désert ». Il désignait un endroit incultivable, inhabité par les hommes et ce n’est qu’assez récemment qu’il a subi un glissement de sens vers celui de forêt impénétrable.
Le mot de l'Inde sur Courrier international

Djamila Sahraoui
Réalisatrice
En arabe c’est la couleur même du désert qui est à l’origine du mot Sahara. Dans cette langue, le mot صحراء  /ṣaḥarā’/ « (de) couleur fauve, ocre » désigne aussi bien le nom de n’importe quel désert que celui du Désert par excellence, le Sahara. Nous avons hérité de la période coloniale le mot saharienne qui désigne une veste de couleur sable. Les habitants du Sahara et notamment du Sahara Occidental sont appelés Sahraouis et non Sahariens suivant en celà la formation arabe des adjectifs qui se terminent en /i/.

24 avr. 2012

Idriss à la médersa et midrash à Madras


 L’origine du nom de la ville indienne Madras porte à discussions. On a proposé différentes pistes pour expliquer ce mot : le portugais madre de Deus « mère de Dieu », madeiros « de Madère », le sanskrit मंदराष्ट्र /maṇdarāṣṭra/ « royaume de Manda », le tamoul மதராசபட்டினம் /matarācapaṭṭiṉam/ ou (mais moins probablement) l’arabe مدرسة /madrasat/ « école ».

Ce dernier provient de la racine درس /darasa/ « étudier » comme en provient aussi le prénom Idris (Idriss ou Driss), nom d’un prophète coranique connu dans la bible sous le nom d’Énoch qui serait inventeur de l’écriture.
Notre mot français médersa est la prononciation turque de l’arabe مدرسة /madrasat/ (madrasa)  « école » bien que le turc moderne utilise aujourd’hui le mot d’origine française okul.
La racine arabe provient elle-même de l’ouest-sémitique /*drš/ « étudier, chercher » que l’on retrouve dans l’hébreu דרש /daraš/ « chercher » qui a donné le mot מדרש midrash, une étude approfondie de la bible dans le judaïsme.



C’est dans cette ville de Madras que l’étoffe de coton ou de soie appelée madras était originellement fabriquée et largement exporté dans les Antilles françaises.

Comme de nombreuses villes indiennes, Madras a récupéré son nom d’origine சென்னை Chennai qui est un mot tamoul.


20 avr. 2012

Berné par le burnous et le béret

Le burnous
Michel Giliberti
Le burnous même s'il désigne un long vêtement de laine porté surtout en Algérie n'est pas un mot d'origine arabe. L'arabe برنوس /burnūs/ provient en fait de la bure, de ce tissu grossier duquel on recouvrait les bureaux et duquel on faisait les robes de bure des moines. C'est aussi dans cette étoffe que par jeu parfois vexatoire on faisait sauter les gens et c’est ce qui a conduit à la formation du verbe berner. Ce mot a un peu évolué dans son sens mais comporte toujours la notion d'expérience désagréable.

Avant de désigner un manteau, le mot burnous désignait une petite calotte et c'est du même étymon que provient le mot béret.

Tous ces mots proviennent soit du grec βιρρος /birros/ soit du latin vulgaire *bura sans que l'on sache très bien lequel a emprunté l'autre.

17 avr. 2012

Bougran de Boukhara, Bekhti au Bihar


Marco Polo parle dans son récit de voyage d’une fine étoffe de coton qu’il appelle boquerant. C’est ce mot qui nous est parvenu dans le français moderne sous la forme bougran mais pour désigner une toile épaisse utilisée comme doublure. C’est encore le même mot mais sous sa forme anglaise buckram qui désigne une toile à base de coton utilisée en reliure.

Tous ces mots semblent bien provenir d’une altération du nom de la ville de Boukhara située en Ouzbekistan, celle-là même d’où provenait l’imam persan محمد البخاري Muhammad Al-Bukhari ou Boukhari un des fameux compilateurs des hadith du prophète de l’islam. C’est aussi de Boukhara que vient la famille Boukharine dont une de ses représentant fut le bolchévique Никола́й Ива́нович Буха́рин Nikolaï Ivanovitch Boukharine.

Boukhara

On a au moins deux possibilités pour expliquer le nom de Boukhara.


Leïla Bekhti
La première le fait descendre du sogdien (moyen-persan) dans lequelle le mot βuxārak /buẖārak/ signifie « lieu de chance ». Les deux premières syllabes sont issues de la racine indo-européenne /*bhag-/ « séparer, diviser » voir Baghdad qui en est venue à signifier chance dans plusieurs langues indo-iraniennes : sanskrit भाग /bhāga/ « bonne fortune », romani baxt /baẖt/ ou persan /بخت/baẖt/ « chance ». Celui-ci a été emprunté (entre autre) par l’arabe بخت /baẖt/ « chance » à son tour emprunté par le swahili ou le shimaore bahati « chance ». C’est aussi de l’arabe que provient le patronyme Bekhti (comme celui de Leïla Bekhti) ou le prénom Bekhta
En Iran on trouve le patronyme Bakhtiar tel celui de l'ancien premier ministre iranien Shapour Bakhtiar
.
La deuxième hypothèse serait le sanskrit विहार /vīhāra/ « temple bouddhiste » en référence à un temple situé dans les environs de Boukhara. Ce mot sanskrit est aussi à l’origine de Bihar, nom d’un état du nord de l’Inde ou de la province cambodgienne Preah Vihear « temple sacré » en khmer.





15 avr. 2012

Karajan au Karabagh et Kurosawa en calicot





Emmanuel Poiré était un caricaturiste français de la fin du 19ème siècle, très connu en son temps sous son nom d’artiste Caran d’Ache. Né à Moscou de père français il avait emprunté ce pseudonyme au russe карандаш /karandaš/ qui signifie « crayon », lui-même issu du turc kara taş /karataš/ « pierre (/taš/) noire (/kara/. Au 20ème siècle, une société suisse fabriquant des produits de papeterie c’est servi de ce nom pour baptiser l’entreprise Caran d’Ache devenue célèbre chez les écoliers des années 30 pour avoir mis sur le marché le premier porte-mine à pince (Fixpencil)

Le turc kara « noir » est aussi à l’origine de différents autres patronymes tels que Kara « noir », Karakachian « aux sourcils (kaş /kaš/) noirs » ou Karajan « Jean noir », nom d’un célèbre chef d’orchestre autrichien.

Dans la toponymie de l’Asie centrale, le mot kara est récurent :
           Karaboroun « nez noir ». Le mot turc burun signifie nez mais aussi en géographie « cap ». (бурун /burun/ en azéri et en turkmène),
         la Karakalpakie est la patrie des Каракалпáк Karakalpaks « colbacks noirs », peuple d’Ouzbékistan,
          le Karakoum « sable noir » est un désert du Turkménistan alors que le Karakoram de même sens est une région de l’Himalaya indo-pakistanais (гум /gum/ « sable » en azéri, en kazakh et en turkmène),
         le Karabagh se trouve enclavé en Azerbaïdjan mais, peuplé majoritairement d’Arméniens il a pris son indépendance. Son nom reflète cette complexité. Si on retrouve ici le turc kara « noir », la deuxième partie du mot est d’origine persane باغ /baġ/ « jardin ».
     le caracul est un nom commun, celui du mouton qui produit l’astrakan mais il trouve son origine dans le nom d’une ville d’Ouzbékistan nommée Karakul « lac (kül) noir ». 

Karagöz et Hacivad
   Il existe aussi en Asie et en Afrique un lynx nommé caracal (Caracal caracal) qui tient son nom du turc karakulak « oreille (kulak) noire ». Pour en finir avec cette liste non exhaustive, on peut citer le nom du personnage central du théâtre d’ombre du monde musulman et en particulier de Turquie, le Karagöz ou Karagheuz dont le nom signifie « œil (göz /gœz/) noir ». 

     Certains linguistes font remonter le proto-altaïque /*kàru/ à l’eurasiatique /*kar-/ duquel provient aussi le proto-dravidien /*kar/. On suppose que le sanskrit (voir Krishna)  काल /kāla/ a été emprunté aux langues dravidiennes [i] et c’est ce mot emprunté que l’on retrouve dans le mot kala-azar « maladie noire » dans lequel le mot azar provient du persan ازار /azār/ « blessure, attaque ». En sanskrit, le féminin du mot  काल /kāla/ est le mot काली /kāli/ et il désigne la déesse Kali, personnification terrifiante de la déesse Durga. Son nom apparait dans plusieurs toponymes indiens parmi lesquels la ville de Calcutta dont le nom sanskrit /kālīghaṭṭa/ pourrait signifier les « ghats de Kali ». Calcutta a repris récemment son nom bengali d’origine Kolkata কলকাতা  comme la ville Calicut a repris son nom malayalam Kozhikode കോഴിക്കോട് qui pourrait signifier « ville de Kali ». C’est du nom de cette ville du Kérala que le français a tiré le mot calicot. Le Kalimantan est le nom de la partie indonésienne de l’île de Bornéo et elle tient son nom du sanskrit कालीमन /kāliman/ « noirceur » suivit du malais tanah « terre ».

  On peut également trouver une origine commune avec le japonais  -  /kuro/  que l'on retrouve /kuro/ dans le nom Kuroshio ou Kuroshivo ( -  しお) « marée noire » qui est le deuxième plus grand courant marin après le Gulf Stream.  /kuro/ est encore présent dans de nombreux patronymes japonais tels que 黒澤 Kurosawa (marais noir) dont l’un de ses représentant est le réalisateur des « sept samouraïs » Akira Kurosawa.




[i] In Linguistic archaeology of South Asia Par Franklin C. Southworth


14 avr. 2012

Chimère de l'Himalaya et achimène de Zima



 On trouve en Inde du nord un état qui se nomme l’Himachal Pradesh, une région bordée par de hautes montagnes.
   Ce mot d’origine sanskrite हिमाचल प्रदेश  /himātšal pradeś/ écouter signifie « pays (/pradeś/) de l’hiver (/himā/) agité (/tšal/) ». On retrouve les deux premières syllabes du mot (/himā/) dans le nom de l’Himalayala qui en sanskrit हिमालय /himālaya/ signifie « lieu, séjour (de l’) hiver ».
   Le mot हिमा /himā/ comme le hindi  हिम /hima/ provient de la racine indo-européenne /*g'heim-/ « hiver, froid, neige » qui est aussi à l’origine du latin hiems qui lui a donné l’adjectif peu usité hiémal « relatif à l’hiver » (pluriel hiémaux).
   En découle aussi mais de façon moins évidente le latin hibernum (français hiver) ainsi que le russe Зима  /zima/ « hiver » que l’on retrouve dans certains toponymes tels que Zima, une ville proche d’Irkoutsk située sur le trajet du transsibérien. On trouve même une bière américaine nommée Zima « froid ».
Chimère
 De l’indo-européen provient également le grec χεμα /kheima/ « hiver » (grec moderne χειμώνας /kheimónas/) qui est à l’origine du mot χίμαρος  /kheimónas/  « chèvre, celle qui a passé un hiver  », étymon du monstre fabuleux chimère (que l'on devrait prononcer  /kimèr/).
   Le grec a produit d'autres mots que l'on peut rencontrer dans la langue française tels que :

        achimène /akimen/, une plante Achimenes longiflora ne supportant pas le froid
        chionophile, terme de biologie désignant une espèce appréciant le froid ou la neige
cheimaphobie ou cheimophobie qui désigne une peur irrationnelle du froid ou des orages



12 avr. 2012

Tarbouche de Fez


Comme le mot babouche signifie littéralement « habit de pied » en persan, le mot tarbouche signifie « habit (/puš/de tête (سَر /sèr/) ». Le mot persan d’origine سرپوش /sarpuš/ a été emprunté par le turc qui lui a fait subir l’influence de son mot ter « sueur ». Il a ensuite transité par l’arabe qui a remplacé le son /p/ par le son /b/ pour faire le mot طربوش /ṭarbūš/

En persan moderne, le mot سرپوش /sarpūš/ désigne un bonnet mais le tarbouche a longtemps été utilisé comme code vestimentaire dans toute la zone musulmane et dans l’empire ottoman jusqu’à ce Mustafa Kemal en interdise l’usage dans la république turque. Ce bonnet de feutre, souvent rouge mais aussi noir ou blanc possède différentes appellations. A Istanbul, il est connu sous le nom de fez (du nom de la ville marocaine de Fès فـاس) alors qu’aux Comores, il porte le nom de stambuli « d’Istanbul ». 

11 avr. 2012

Chandernagor et santal


         De la racine indo-européenne /*kand-/ "briller" provient le latin candeo, candere  "éclairer, briller" origine des mots français candélabre, candeur, chandelle ou incendie.

Chandra
            La même source indo-européenne est à l’origine du sanskrit चन्द् /tšand/ « briller », voisin du mot  चन्द्र /tšandr/ « lune » qui est aussi le nom de la divinité védique Chandra.

          Le concept  चन्द्र /tšandr/ « lune » est très important dans la culture indienne et on retrouve le mot dans de nombreux noms de personnes tel Subrahmanyan Chandrasekhar écouter. Cet astrophysicien bien nommé (celui qui possède la lune, épithète de Shiva) est à l’origine de la notion physique appelée « masse de Chandrasekhar » et le téléscope spatial Chandra est nommé en son honneur.

Savon Chandrika
"Clair de lune"
d'Irinjalakuda
          Mais si ce mot sanskrit peut avoir quelque chose de familier à nos oreilles c’est parce qu’il est à l’origine du nom de l’ancien comptoir français de Chandernagor. Le nom de cette petite ville du Bengal indien (चन्द्रनगर /tšandernagar/ en hindi et ōndonnōgor/ en bengali "ville de la lune") provient certainement de la forme en croissant de lune de la rivière à cet endroit là. De plus c’est certainement en référence à cette ville que l’ancêtre réunionnais de Françoise Chandernagor a choisi son nom.


               Cependant, cette ville pourrait tenir son nom du commerce de santal qu’on y pratiquait. Le mot santal provient du sanskrit चंदन /tšandana/  « bois de santal » sûrement issu lui aussi de la racine  /tšand/  « briller » dans le sens de « bois utilisé pour faire de l’encens ».



9 avr. 2012

Pâques et Pascuans, Tabaski et Tafaska


         Le jour de Pâques, les chrétiens célèbrent la mort de Jésus-Christ leur Messie. Par un concours de circonstances, sa mort est survenue lors de la célébration de Pessah, ce que l’on appelle couramment la Pâque juive. Le mot Pâques est une altération assez profonde de l’hébreu פסח  /pesaẖ que l’on traduit habituellement par « passé au dessus ». Cette fête commémore une des dix plaies d’Egypte, la mort de tous les premiers-nés égyptiens et la survie de ceux des Hébreux. Ces derniers avaient reçu l’ordre de Dieu de marquer les linteaux de leurs portes avec le sang d’un agneau afin que l’ange exterminateur les reconnaisse et les épargne. Ceci conduira Pharaon a laisser partir Moïse et son peuple. L’hébreu פסח /pesaẖ/ signifie bien « passer au dessus » mais cette étymologie pourrait s’avérer erronée, l’égyptien /pa-skha « la mémoire » pouvant être son étymon.

Le mot hébreu ayant transité par l’araméen /pasẖa/ est devenu paschalis en latin avant de se stabiliser dans le mot Pâques et son adjectif pascal.

On retrouve le mot Pâques jusque dans les langues d'Afrique de l'ouest où la fête musulmane de l'Aïd-el Kebir (Aïd-el Adha) se nomme Tabaski. Cette dernière trouve son origine dans le berbère Tafaska (ou Tafska) qui désigne la même chose et semble bien provenir du latin /paska/ précédé du préfixe berbère /ta/.

C’est le navigateur hollandais Jacob Roggeveen qui fut le premier Occidental à découvrir l’île de Pâques le 6 avril 1722 et c’est justement parce que c’était le jour du lundi de Pâques qu’il lui donna le nom néerlandais de Paasch Eiland « Ile de Pâques ». Les habitants de cette île portent donc le nom occidental d’origine sémitique de Pascuans mais se donnent eux-même le nom de Rapanui, un nom qui est aussi le nom de leur langue polynésienne et de leur île Rapa Nui « Grande Rapa ». 

Pâques à l'île de Pâques