31 mars 2012

Tarif de Maarouf et Tarif de Tarifa



En arabe le verbe عرف /ʿarafa/ signifie « savoir » et le verbe dérivé عَرَّفَ /ʿarrafa/ signifie plus précisément « faire connaître ». Il est à l'origine des patronymes Arif et Arfi mais certainement pas à celle d'Arafat qui tient son nom d'une montagne provenant d'une autre source.

Maaruf Bakhit,
ex-premier ministre jordanien
En arabe on peut facilement ajouter un préfixe pour faire évoluer le sens d’un mot. Le préfixe /ma-/ permet par exemple la formation du participe passé. Ainsi معروف /maʿarūf/ désigne celui « qui est connu », origine des patronymes Maarouf, Maaroufi ou Maaref. 

De même le préfixe /ta-/ permet la construction du mot تعاريف /taʿārīf/ « indication, ce qui doit être connu », étymon du français tarif qui a précédemment transité par l’italien tariffa « liste de prix ». C'est aussi de cet étymon que provient le toponyme Trafalgar, tout du moins sa première partie /traf/.

Le prénom Tarif provient d’une autre racine, du mot طریف /ṭarīf/ signifiant « rare », commençant par la lettre ط /ṭ/ (un t emphatisé) différente de la lettre ت /t/. Ce nom a été utilisé par Tarif ibn Malluk, un lieutenant de Tariq ibn Ziyad et il est à l’origine du nom de Tarifa, la ville espagnole de la province de Cádiz.




                         


27 mars 2012

Jarres et carafes, calebasses et pastèques


Depuis au moins l’antiquité les hommes ont conservé des liquides dans des pots en terre. Ce que les Grecs et les Romains connaissaient sous le mot amphore, les arabes le connaissaient sous le mot جرة /jarat/ que le français a emprunté à travers le mot jarre
La jarre permet de garder les liquides au frais pendant la saison chaude, la terre poreuse permettant une exfiltration suffisante pour provoquer un rafraîchissement du contenu (principe de la brique à vin). C’est un procédé encore largement utilisé mais le monde arabe emploie plutôt le mot غرّافة /ġarrāfat/ pour désigner la jarre. 

C’est un mot qui est très certainement à l’origine de notre mot carafe bien qu’on ait aussi proposé comme étymon le mot persan /qarabah/ qui désigne un gros flacon. En Afrique de l’Ouest francophone on utilise le mot canari pour désigner le grand vase en terre poreuse qui permet de conserver l’eau au frais et on y puise avec une louche faite d’une calebasse.

Encore une fois on a deux propositions pour expliquer l’origine de ce mot. En dehors de la possible origine pré-romane tirée du radical /*kal/ « abri » on a l’hypothèse arabe. Le mot قرع /qara’/ qui signifie « gourde » pourrait en être l’origine mais serait lui-même un emprunt au persan /ẖarabaz/, une variété de grosse courge dont le nom est voisin du mot خربزه /ẖarbozeh/ « melon ». 
De nombreuses langues ont d’ailleurs emprunté dernier pour désigner la pastèque. Ainsi, le grec καρπούζι /karpouzi/, le turc karpuz, le hindi trbUj /tarabūj/ ou le russe арбуз /arbuz/
Le français a lui suivi la trace du mot arabe بطيخ /biṭīẖ/ « melon d’eau » que les botanistes latinisant ont un temps appelé batheca.

25 mars 2012

Le thon de la Madrague est un albacore


 La pêche au thon est une activité ancestrale en méditerranée et son vocabulaire provient évidemment des langues de cette région. Le mot thon lui-même provient d’une langue méditerranéenne non identifiée mais qui a transité par le grec θύννος /thunnos/ avant de parvenir au français thon. Sa capture se fait traditionnellement à l’aide de filets qui conduisent les thons vers un enclos dans lequel ils sont mis à mort. 

Cette technique millénaire appelée madrague a laissé son nom à plusieurs toponymes que l’on retrouve dans certaines villes ou villages français (Madrague de Marseille, de Giens ou de Saint-Tropez). Ce mot semble provenir de la racine arabe ضرب /araba/ « frapper, battre » et de son extension مضرب /marab/ qui signifie « batte, raquette » faisant référence à leur mise à mort manuelle. Même si l’existence du mot espagnol almadraba « madrague » semble confirmer cette hypothèse, une autre a été proposée en faisant provenir le mot de l’arabe زريبة /zarībat/  « enclos pour animaux ».

Jean-Pierre Bacri
         Il existe plusieurs variétés de thon et une des plus connues se nomme albacore. Le thon albacore tient son nom de l'arabe البكورة /al-bakūratqui désigne un jeune chameau, faisant ainsi référence à sa taille imposante. Ce mot qui signifie aussi « prématuré » ou « aîné » a aussi donné les noms suivants : Bakir, le patronyme juif d'Afrique du Nord Bacri, Boubakeur et sa variante africaine Boubacar. Issu de la même racine sémitique on trouve en hébreu le mot בכור /baor/ qui signifie « premier né, aîné ».

20 mars 2012

Brouhaha et charabia, c'est bredouiller du Breton


Jorge Semprun
L'algarabie
En français on utilise parfois des mots empruntés ou mal compris pour définir un langage incompréhensible. C’est par exemple le cas du mot charabiaIl a été emprunté par l'espagnol algarabía à l’arabe العربية /al-carabiya/ « l’arabe » avant de parvenir au français. En gros le charabia c’est de l’arabe comme on dit « pour moi c’est du chinois » ou « c’est de l’hébreu ». 
C’est justement de l’hébreu  que vient le mot brouhaha qui est la résultante phonétique approximative de ce que les non-juifs (goyim) ont entendu de la prière suivante :

ברוך הבא בשם יהוה 
/baruẖ habâ bešèm YHWH/

« celui qui vient au nom du Seigneur » (Psaumes 118,26). 
On retrouve cette origine dans l'italien barrus cabá « confusion, désordre ».

En Europe et en France même on a parfois eu du mal à se comprendre : les Bretons qui avaient du mal à s’exprimer en français académique nous ont transmis malgré eux le mot baragouin. Bien que son origine soit controversée, il semble bien que ce mot vienne du breton /bara/ « pain » et /gwin/ « vin », deux mots qu’ils auraient fréquemment employés. 
De l'ethnonyme Breton, le français a formé le mot bredouille « être dans l’embarras » mais aussi le verbe bredouiller, équivalent de l’occitan bretonnar

13 mars 2012

Malabar en Malaysie, Dubarry à Zanzibar


Les deux super-stars du cinema malayalee
Mammootty et Mohanlal
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Avant de désigner quelqu’un de physiquement fort, le mot malabar a servi à nommer une personne rusée. Cette collusion s’explique par l’influence des deux mots mâle et malin et il nous est parvenu à travers l’argot des marins. Le malabar est en premier lieu un débardeur, un docker que les navigateurs occidentaux ont rencontré en Orient et qui vient d’Inde, de la côte du Malabar. Cette région qui fait partie de l’Etat indien du Kerala tient son nom du malayalam മലബാര്‍ /malabār/ dans lequel on retrouve l’ethnonyme /malay/ « habitant du Kerala », celui qui parle malayalam. Le terme dravidien /*màl/ ( മല  /mala/ en malayalam, மலை /malay/ en tamoul...) qui signifie « montagne » ou plutôt  « colline »  est à l’origine de ce nom, le Kerala étant une région bordée d’un côté par la mer et de l’autre par une chaîne de montagne.


De ce radical dravidien pourrait aussi provenir le nom de la Malaisie et des Malais qui peuplent ce pays montagneux même si une autre hypothèse propose le nom de la rivière Melayu qui se situe sur l’île de Sumatra.





La deuxième partie du mot malabar provient certainement de l’arabe برّ /barr/ « terre, pays » qui entre dans la composition d’autres toponymes. C’est par exemple le cas de Zanzibar dont le nom persan زنگبار /zangibār/ provient de l’arabe زنجبرّ /zanjbar/ « le pays des Noirs (زنج /zanj/) ».
Par ailleurs, l’arabe برّيّة /barriyat/ « terre ouverte, steppe » dérivé de برّ /barr/ a été emprunté par l’espagnol barrio pour désigner un « faubourg » puis un « bidonville ».
C’est de cette même source que provient le catalan barri « lieu habité en dehors de la ville » d’où dérive le patronyme pyrénéen Dubarry ainsi que ses voisins Barrielle, Barriol ou Barrios.


10 mars 2012

Saturday at Douchanbe


Si certaines langues ont suivit le schéma sémitique pour la construction de leur mot « samedi », d’autres ont bien évidemment pris d’autres chemins. C’est par exemple le cas des langues scandinaves dans lesquelles le mot samedi signifie le « jour du bain ». Ainsi l’islandais laugardagur, le danois lørdag ou le norois laurdag sont tous tirés de l’ancien mot scandinave laugr qui signifie « bain ». On trouve un peu la même idée dans le mot maori rahoroi « jour – laver » ou « samedi ».

Śani 
        En anglais, le mot Saturday « samedi » est tiré du nom de la planète saturne, elle-même nommée d’après le dieu romain de l’agriculture Saturne. On retrouve cette idée dans le néerlandais zaterdag, le breton sadorn (deiz) mais aussi le hindi   शनिवार /śanīvār/ « samedi », le dieu   शनि  /śanī/  étant l’équivalent védique du dieu Saturne.


Pour dire "samedi" le persan utilise le mot شنبه /šanbe/. Considéré comme premier jour de la semaine (après le vendredi, jour de la grande prière), il est aussi utilisé dans la construction des noms des autres jours. Ainsi dimanche se dit يكشنبه /yekšanbe/ (un [après] samedi) et lundi دوشنبه /dōšanbe/ (deux [après] samedi) et c’est le sens du nom de la capitale du Tadjikistan Douchanbe, une ville construite sur une place de marché qui avait lieu le lundi (Душанбе en tadjik).

Douchanbe







Samedi et sabbat, shabbat à Sebt Gzoula


Shabbat éthiopien
Le samedi est en France légalement considéré comme étant le sixième jour de la semaine, celui qui précède le dimanche, le « jour du seigneur » (dies dominicus). Le mot samedi provient lui, à travers le latin populaire *sambati dies « jour du shabbat », de l’hébreu שבת /šabbat/ qui signifie « cesser le travail » plus que « repos ». Pour les juifs, le jour du sabbat est le jour de repos imposé par Dieu durant lequel tout travail est interdit (וישבות ביום השביעי /vayšbōt bayōm haševi'i/ Genèse 2,2). Il est considéré dans le judaïsme comme étant le dernier jour de la semaine.

 Chez les musulmans, le jour de repos hebdomadaire correspond à notre vendredi et en arabe le mot samedi se traduit par le mot سبت /sabt/ « samedi », tiré de la racine سبت /sabata/ « se reposer ». De nombreuses langues de pays chrétiens ou musulmans empruntent leur mot « samedi » à l’une de ces deux langues sémitiques (espagnol sábado, italien sabato, polonais sóbota ou indonésien sabtu). Plusieurs toponymes marocains sont construits avec ce mot /sabt/ « samedi » : سوق السبت اولاد النمة Souk Sebt Oulad Nemma « marché du samedi de Oulad Nemma » - سبت كزول  Sebt Gzoula « samedi Gzoula »

Francisco Goya - le sabbat
des sorcières

Considéré comme jour saint dans le judaïsme, le shabbat est largement observé par la communauté juive du monde entier et il est jour chômé en Israël. Le shabbat est un jour très ritualisé, un jour de célébrations et de prières durant lequel trente-neuf activités sont prohibées (dont faire du feu ou écrire). Bien que les chrétiens respectent une forme de shabbat le dimanche, ce mot a pris une tournure péjorative sous la forme sabbat. On peut étymologiquement rapprocher les deux termes bien que certains préfèrent faire dériver le mot sabbat du latin sabae « chèvre » ou du dieu grec Dionisio sabazius. Toujours est-il que le judaïsme a très longtemps eu mauvaise réputation et les églises chrétiennes n’ont pas hésité à faire le lien entre les cérémonies démoniaques du sabbat et la célébration juive du shabbat.

Pourtant la forme sabbat survit dans le mot sabbatique. L’année sabbatique est une prescription agricole de la torah qui définit une année de jachère pour la terre tous les sept ans. En hébreu cette pratique est appelée שמטה /šemittah/

proto-sémitique *šbt ? « se reposer»
 å           æ
arabe سبت /sabata/                                                     שבת /šabbat/
       â                                                                             â

          sabt                                                                       shabbat
    Souk Sebt Oulad Nemma                                             sabbat     
   Sebt Gzoula                                                    sabbatique



7 mars 2012

Bahri à Bahreïn


Femme de Bahr el Ghazal
     Le mot arabe بحر /baḥr/ « mer » qui a disparu dans notre mot amiral (amir al-bahr) se retrouve dans la toponymie où il peut prendre le sens de « rivière, fleuve ». C’est par exemple le cas dans le nom du fleuve soudanais Bahr el Ghazal بحر الغزال /baḥr al-ġazāl/ « le fleuve des gazelles » qui rejoint plus loin le Bahr el-Jebel, le « fleuve de la montagne ». On trouve en Turquie un village anciennement nommé Sedd el Bahr et aujourd’hui renommé Seddülbahir, une « turquisation » de l’ancien nom arabe سدّ البحر  /sedd al-baḥr/ qui signifiait « fermeture de la mer ». Le Littré du vocabulaire de la francophonie retient le mot bahri : ALGERIE marin║Brise marine.
Association marocaine
de protection de la mer

Il existe en arabe – comme dans d’autres langues (hébreu, sanskrit…) – un singulier, un pluriel mais aussi un duel. Il est utilisé pour désigner toute paire de choses et par exemple pour dire « deux mers » en arabe on ne dit pas اثنان بحار /īθnān biḥār/ « deux mers » mais le duel بحرين /baḥrīn/ « mer (au duel) ». C’est ce mot que l’on retrouve dans le nom du petit état moyen-oriental du Bahreïn, anciennement un émirat mais aujourd’hui devenu monarchie constitutionnelle.


C'est certainement le mot phénicien /baḥr/ de même origine sémitique que l'on retrouve dans Baarìa, le nom sicilien de la ville de Bagheria située près de Palerme

proto-sémitique /*boḥVr/ « mer »
↓                              
arabe بحر /baḥr/              phénicien /baḥr/   
↓                             
Bahr el Ghazal                 Bagheria
                                          amiral                         Baarìa
                                         Bahreïn

Amiral singer

6 mars 2012

Le fou de Morfil


On a utilisé un temps en français le mot morfil qui désignait la défense d’éléphant à l’état brut. Ce mot vieillit provient d’un emprunt à l’arabe عظم الفيل /caam al-fīl/ qui signifie littéralement « os d’éléphant ». Ce mot ou un de ses dérivés est utilisé par différentes langues pour désigner l’ivoire (espagnol marfil, portugais marfim…) et une grande île sénégalaise située sur le fleuve Sénégal porte le nom d’Ile de Morfil. Il n'a rien à voir avec son homonyme morfil qui désigne les "petites aspérités métalliques qui se forment sur le bord du tranchant d'une lame fraîchement affûtée" et qui vient des "fils morts".

 L’arabe فيل /fīl/ « éléphant » est issu de la racine sémitique /*pīl/ qui semble elle-même provenir d’un emprunt à une langue inconnue.

Alfil
De façon moins évidente, la pièce d’échec nommée fou provient elle aussi de ce mot arabe. En effet, elle tient son nom de l’altération du vieux français alfin, aufin, alphin dérivé de l’arabe الفيل /al-fīl/ « éléphant » et on en a toujours la trace dans l’italien alfiere ou l’espagnol alfil « fou ».

 L’anglais bishop qui désigne cette pièce signifie « évêque » d’où le signe conventionnel qui pourrait provenir originellement de l’ancien morceau de défense d’éléphant qui la symbolisait.

proto-sémitique /*pīl/ « éléphant »
arabe فيل /fīl/
                    
morfil                    fou
Morfil                               

4 mars 2012

Jubba et jupe


En arabe, le mot جبة /jubbat/ désigne une longue chemise masculine dont le nom provient du verbe جببّ /jabba/ « couper ».

Kérali en
             mundu-jubba
La jubba est aujourd'hui largement utilisée dans tout le monde arabo-musulman. En Inde et notamment dans le Kérala, toutes les communautés peuvent porter la jubba : les musulmans, les hindous, les chrétiens et même les communistes, surtout si ce sont des artistes. Ce mot a été emprunté par de nombreuses langues comme c’est par exemple le cas de la chuba traditionnelle tibétaine (ཚུཔ /čupa/)

Tibétains en chuba
Les chrétiens andalous lors de l’occupation musulmane de l’Espagne ont eux-aussi emprunté cette robe qu’ils appelaient algúbba, un mot qui est passé à l’italien giubba mais pour ne plus désigner qu’une simple veste. Ce mot est un peu désuet et on lui préfère aujourd’hui son dérivé giubotto « veste ».

C’est de l’italien giubba que le français a fait le mot jupe, détournant à nouveau son aspect d’origine pour n’en garder que la partie inférieure. Jupe et jupon ont durablement éclipsé l’ancien mot cotillon qui désignait ce vêtement.

On suppose par ailleurs que l'anglais jumper "pull-over" comme son homonyme américain qui signifie alors "tablier" est un emprunt au français jupe, pauvre mot qui n'en finit pas de passer de bas en haut et de haut en bas.

Di Stefano Pagliacci - Vesti la giubba